mercredi 13 mai 2015

Azeffoun...Aghribs





Mohand Tahar Tazerout




(Suite des précédents messages)



Mais ce n’était pas une fin en soi pour Mohand, soucieux de s’abreuver à toutes les sources. Ainsi, il prit la direction de l’Iran à la veille du déclenchement de la Première Guerre mondiale, se consacrant d’abord à étudier le persan avant de plonger dans la dure réalité des musulmans de ces contrées en tentant d’en expliquer leur déclin et leurs reculades par rapport aux autres civilisations.

Face à la passivité de ses pairs qui semblaient se complaire dans leur fatalisme, Mohand aura l’occasion de vivre des moments autrement plus enthousiasmants en côtoyant le mouvement révolutionnaire en Russie qui allait faire émerger les Bolcheviks. Pour mieux décortiquer cet état de fait, Tazerout apprit la langue. Ce qu’il fit aussi lorsqu’il posa ses bagages en Chine, où il put savourer les attraits de l’Extrême-Orient et ses cultures aussi riches que variées.

En fait, fidèle à ses principes et à ses idées, «Mohand dût se rappeler ce hadith appris dès sa prime enfance qui recommande la recherche du savoir, fût il en Chine», note Djillali Sari. Mais Mohand, curieux, aventurier, ne se lasse jamais de découvrir d’autres horizons, d’autres peuplades, d’autres civilisations... Il jettera son dévolu sur l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne, le Maroc et le Mali.Mobilisé en 1917 et aussitôt envoyé sur le front oriental de la France, il est blessé en Belgique, et fait prisonnier en Allemagne.

C’est là qu’il apprendra l’allemand et rédigera des œuvres qui feront référence dans cette langue… Il se voue à l’enseignement secondaire en France, notamment au sein de l’un des prestigieux établissements parisiens, le lycée Charlemagne. Mohand soutient sa thèse à Strasbourg dans la langue de Gœthe en enchaînant par la traduction de deux immenses auteurs d’expression germanique : Le déclin de l’occident d’Oswald Spengler (1948) et L’histoire des peuples et des États islamiques, de C. Brocklemann (1949).

Mohand livrera des travaux couronnés par la publication d’ouvrages d’envergure : La métaphysique intellectuelle d’Extrême-Orient (1963) ; La philosophie amoureuse de l’Antiquité (1955), Le capitalisme occidental depuis le XIVe sicèle
(1959) ; Le communisme soviétique et la sociologie de la coexistence pacifique (1960) publiés aux éditions Subervie.



LES VOYAGES FORMENT LA JEUNESSE

«Profondément imprégné de culture arabo-islamique, Mohand Tazerout s’est appliqué à établir une sorte de théorie du progrès», fait savoir Sari, en appelant à une réouverture de l’Ijtihad «plus grande» à la lumière de l’avancée fulgurante des sciences et de la technologie. Dans son excellent article consacré à Tazerout, mon ami Kaddour M’hamsadji, auteur-chroniqueur, a relevé l’ostracisme et le parti pris de certains critiques français, dont Jean Dejeux qui a jugé que «les ouvrages de Tazerout tiennent beaucoup du discours d’idées, réflexe d’ordre philosophique sur les civilisations et les cultures, les religions et les idéologies.» Et pan ! sur l’itinéraire fabuleux de Tazerout, sur ses ouvrages éclairants et scientifiques.

«On ne pouvait s’attendre qu’à ça, résume M’hamsadji, surtout lorsque cela émane des auteurs de la colonisation s’instituant maîtres en la matière.» L’écrivain Abderrahmane Djelfaoui nous indique que Jean Fournier rencontre pour la première fois Mohand Tazerout en 1949, alors qu’il est fiancé à sa fille Jacqueline dont il deviendra le mari. Depuis, les deux hommes ont fait un long chemin ensemble.

«L’itinéraire de Mohand est unique et exceptionnellement foisonnant», signale Fournier qui consacre un chapitre entier de son livre Alliances Kabyles à son beau-père qui s’est attelé à un travail d’encyclopédiste sur l’histoire générale des civilisations d’Orient.
«Demandons-nous seulement, écrit Fournier, ce qui s’est réellement passé plus tard dans son village, en 1954, où Tazerout n’était pas retourné depuis quarante ans et qu’il quitte pour ne plus jamais y revenir ? Nous n’avons jamais eu de sa part, avec Jacqueline, un compte rendu précis. Mais le sentiment que nous en avons gardé est celui d’un relatif échec. Sans doute s’attendait-il a être mieux reconnu lors de ce périple qui le conduira aussi dans le Sud de l’Algérie.

C’est pour cela que Tazerout décide de finir ses jours à Tanger.» Notre confrère Slimane Benaziez donne un autre éclairage à travers une conférence donnée il y a quelques jours, en expliquant que jusqu’à la guerre de libération, Tazerout semblait s’en tenir à une attitude assimilationniste, désapprouvant des injustices qui, lui semblait-il, avaient eu leurs équivalents en France même et auxquelles il était donc possible de remédier. Mais, en suivant de près la «guerre totale» menée par la puissance coloniale et son armée en Algérie, Tazerout a fait un revirement radical à cent-quatre-vingt degrés.

Ainsi, il écrivait Les troubles actuels sont d’ordre politique. A partir de là, il  n’avait aucune hésitation à recourir à la terminologie habituellement réservée à caractériser les méthodes nazies et du fascisme pour qualifier la répression féroce menée par la France en Algérie. Aux objections sur les méthode des combattants algériens, il répondait que «le FLN était acculé à la nécessité de se défendre depuis sept ans contre l’extermination lente du peuple algérien», et qu’il est «toujours vain d’accuser les autres des crimes qu’on commet soi-même au centuple.»



Hamid Tahri
El Watan le 30.04.15
*Illustration Daboudj1948


...A suivre

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