...Ou Boughendja
(Suite du précédent message)
Anẓar (*G. Camps)
C’est le
nom masculin de la pluie, mais celle-ci est personnalisée. Anẓar apparaît comme l’élément bienfaisant qui renforce la
végétation, donne les récoltes et assure le croît du troupeau. La pluie,
elle-même assimilée à la semence, entre donc dans les pratiques de magie
sympathique. Pour obtenir la pluie longue à venir, il faut solliciter Anẓar et tout faire pour provoquer son action fécondante.
Tout naturellement et sans doute depuis un temps très ancien, les Berbères ont
pensé que la plus efficace des sollicitations était d’offrir à Anẓar une « fiancée » qui, en provoquant le
désir sexuel, créerait les conditions favorables à l’écoulement de l’eau
fécondante. Cette symbolique sexuelle naïve entre dans les mêmes systèmes de
pensée que d’autres pratiques telles que les baignades de femmes nues au
solstice d’été, pendant l’Awusu* et déjà condamnées par saint Augustin au Ve
siècle, les « nuits de l’erreur » signalées en Afrique du Nord, en
divers lieux et à différentes époques, et durant l’Antiquité, les pratiques
sexuelles plus ou moins symboliques qui accompagnaient le culte des Cereres*.
Dans le cas
de la fiancée d’Anẓar, pratique universelle dans le
Maghreb mais plus vivace dans les régions prédésertiques, on habille de
chiffons une poupée de bois, simplement suggérée par un pilon ou une louche et
dont les bras sont figurés par deux cuillers destinées à recevoir et à conserver
symboliquement l’eau de pluie tant attendue. En certains lieux, comme à
Tabelbala (Saoura), c’est un véritable vêtement qui est taillé et cousu autour
de l’assemblage de bois, des parures diverses, colliers et bracelets confortant
l’idée qu’il s’agit bien d’une cérémonie nuptiale. Le nom le plus
répandue donné à cette poupée est celui de γanja sous différentes formes
(Taγonja, Tarenza...) par allusion à la cuiller symbole et réceptacle
lié à l’alimentation et donc doublement efficace Plus simplement la poupée est
appelée Tislit n-anẓar : fiancée d’Anẓar) ou Tislit u aman (la fiancée de l’eau).
Dans le Rif on utilisait de préférence à la cuiller, la pelle à vanner pour
servir d’armature à la poupée : en cela aussi le symbole bénéfique est
évident : la pelle est aussi un réceptacle, elle est en outre sacralisée
par sa fonction liée à la récolte. La poupée féminine est, dans certaines
régions (Tasemtit, Haut-Atlas), accompagnée de l’image d’Anẓar lui-même. Anẓar est vêtu de noir par assimilation à un ciel chargé de nuages prometteurs
de pluie. La fiancée d’Anẓar est portée par une femme qui,
parfois se contente de brandir une simple louche ou cuiller à pot lors de la
procession (Tunis, Jerba, M’zab...). Là où le rite dégénère, il peut être
repris, sous forme carnavalesque, par les enfants qui se souviennent cependant
des rogations pour la pluie.
Plusieurs
observations ou récits permettent de penser que la poupée actuelle n’est qu’un
simulacre destiné à remplacer une véritable « fiancée » offerte à la
pluie. Un texte recueilli par H. Genevois chez les At Ziki du haut Sebaou
(Kabylie) est tout à fait explicite. Il comprend deux parties : une
légende qui explique l’origine du rite et la description du rite lui-même tel
qu’il se pratiquait « à l’époque où les At Qasi et les At Jennad se
battaient contre les Turcs », c’est-à-dire au XVIIIe siècle. La légende
peut être résumée ainsi : Anẓar, le roi de la pluie (le terme aguellid est ici expressément
employé) désirait épouser une jeune fille d’une merveilleuse beauté qui avait
l’habitude de se baigner toute nue dans une rivière ; comme elle se
refusait à lui par crainte du qu’en-dira-t-on, Anẓar tourna la bague qu’il portait au doigt et la rivière tarit
immédiatement. La jeune fille appela alors Anẓar à grands cris, il reparut et s’unit à elle, la rivière se remit à couler
et la terre reverdit. Le récit précise : « Voilà l’origine de cette
coutume, en cas de sécheresse on célèbre sans tarder Anẓar et la jeune fille choisie pour la circonstance doit
s’offrir nue ».
Effectivement,
le rite pour obtenir la pluie, tel qu’il est rapporté par ce récit kabyle,
était organisé par les femmes bien que la plus grande partie de la population y
participât. La matrone du village préparait la toilette de la fiancée d’Anẓar et remettait à la jeune fille une cuiller à pot (aγonja).
Tout au long de la procession, la fiancée ne cessait de psalmodier, en
réclamant, en termes précis, l’intervention d’Anẓar. Au cours de la procession, les familles visitées offraient de la
nourriture et aspergeaient le cortège en visant la fiancée. Arrivées à l’un des
sanctuaires du village, les femmes préparaient un repas avec les produits
offerts pendant la procession. Après quoi la matrone dénudait la fiancée qui
s’enveloppait dans un des filets servant au transport des gerbes ou du
fourrage. Elle implorait à nouveau Anẓar, en tournant autour du sanctuaire, exprimant son consentement, s’offrant
au Maître de la pluie, citant tous les êtres vivants, hommes, animaux, végétaux
qui attendent, comme elle, l’eau bienfaisante. Les femmes chantaient aussi,
faisant appel à Anẓar au nom de la Terre-Mère sans force
et desséchée. Pendant ce temps, les jeunes filles pubères s’assemblaient autour
de la fiancée d’Anẓar, toujours nue, et entamaient une
partie de zerzari, jeu de balle très répandu au Maghreb et plus souvent
connu sous le nom de koura ou takourt. Ce jeu se pratique avec
une crosse, les joueurs se disputent une balle en liège, ailleurs en chiffons,
jusqu’à ce que celle-ci tombe dans le trou préparé à cet effet. A ce moment, la
fiancée entonnait un nouveau chant encore plus pressant auquel répondait le chœur
des jeunes filles. La balle était enterrée dans le trou, comme le serait une
semence, et toutes les femmes retourneraient au village. La pluie ne manquait
pas de tomber dans les jours qui suivaient.
L.
Jouleaud, à la suite de Doutté, Westermarck et Laoust, n’a pas manqué de
signaler la conjonction entre le jeu de la koura, très ancien en Afrique du
nord et les rites d’obtention de la pluie. D’après Westermarck (1914, p. 121),
chez les Aït Waraïn du nord-est du Moyen Atlas, deux ou trois femmes entièrement
nues jouaient à la koura pour obtenir la pluie. Il en était de même chez les
Tsūl, au nord-ouest de Taza, où les joueuses utilisaient une cuiller pour
lancer la balle. Ainsi se trouvent étroitement rassemblés dans le même jeu
rituel, la nudité provocante, le symbole de la cuiller réceptrice et le jeu de
la balle, image de la semence qui pénètre dans la terre.
Anẓar :
« pluie » (*S. Chaker)
Terme pan-berbère attesté dans tous les dialectes actuels, sauf en Touareg. Sa
diffusion en fait la dénomination berbère fondamentale de la pluie. Les autres
appellations que l’on peut relever en de nombreux points sont ou bien plus
spécifiques (formes précises de pluie : kabyle agffur=averse), ou
proviennent d’évolutions sémantiques à partir de significations initiales
voisines mais différentes (touareg agenna = ciel/nuage→ pluie). En
Kabylie, anẓar est une forme nettement archaïque,
qui n’est plus employée comme nom commun. Le mot n’est employé que dans les
rites d’obtention de la pluie, connus à travers tout le domaine berbère et qui
ont fait l’objet de nombreuses notations et descriptions (cf Camps, supra). Ces
rites, dont la symbolique sexuelle est transparente, sont généralement
accompagnés de chants d’imploration de la pluie, construits autour d’un thème
récurrent comme (kabyle) :
Anẓar, Anẓar Pluie, Pluie
a Rebbi ssw-iṭṭ ar azar ! ô Dieu abreuve-la jusqu’à la racine
ay igenni bu itran ô ciel étoilé
a Ṛebbi ssw-edd igran ô Dieu abreuve les champs
ay igenni bu izegzawen ô ciel bleu
a Ṛebbi ssw-edd ibawen ô Dieu abreuve les fèves
(Version des Irjen, Picard, 1958, p. 304).
La forme très figée des chants et le caractère nettement archaïque du terme anẓar ont parfois fait penser qu’Anẓar pouvait être le nom d’une ancienne divinité de la pluie. L’hypothèse n’est sans doute pas à exclure, mais le panthéon ancien des Berbères est trop mal connu pour que l’on puisse se permettre d’être affirmatif.
Anẓar, Anẓar Pluie, Pluie
a Rebbi ssw-iṭṭ ar azar ! ô Dieu abreuve-la jusqu’à la racine
ay igenni bu itran ô ciel étoilé
a Ṛebbi ssw-edd igran ô Dieu abreuve les champs
ay igenni bu izegzawen ô ciel bleu
a Ṛebbi ssw-edd ibawen ô Dieu abreuve les fèves
(Version des Irjen, Picard, 1958, p. 304).
La forme très figée des chants et le caractère nettement archaïque du terme anẓar ont parfois fait penser qu’Anẓar pouvait être le nom d’une ancienne divinité de la pluie. L’hypothèse n’est sans doute pas à exclure, mais le panthéon ancien des Berbères est trop mal connu pour que l’on puisse se permettre d’être affirmatif.
Bibliographie
Doutte E., Marrakech,
Paris, Comité du Maroc, 1905.
Bel A.,
« Quelques rites pour obtenir la pluie en cas de sécheresse », xive
congr. des Orientalistes, Alger, 1905.
Westermarck, Cérémonies and Beliefs connected agriculture, certain dates
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Laoust E., Mots
et choses berbères, Paris, Larose, 1920.
Benoît F., « Survivances
des civilisations méditerranéennes chez les Berbères. Le mystère de la “nuit de
l’erreur” », Rev. anthrop., t. XL, 1930, 16 p.
Probst-Biraben J.A.,
« Les rites d’obtention de la pluie dans la province de
Constantine », Journ. de la soc. des African, t. II, 1932, pp.
95-102.
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« Un rite d’obtention de la pluie. La “fiancée d’Anzar” », Procceding
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Mots et choses berbères, Paris, 1920, p. 188.
Laoust E.,
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Vocabulaire et textes berbères dans le dialecte des Aït Izdeg, Rabat, 137, p.
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Irjen (Kabylie-Algérie), I, Alger, 1958 (texte n° 85 « invocation à la
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Renisio A.,
Étude sur les dialectes berbères des Beni Iznassen, du Rif et des Senhaja de
Sraïr, Paris, 1932, p. 443 [anẓar].
* Gabriel Camps
Né le 20 mai 1927 à Misserghin, en Oranie, il fit toutes ses
études en Algérie, au Lycée d’Oran puis à la faculté de lettres d’Alger, études
couronnées par le doctorat ès lettres.
Gabriel Camps est décédé à Aix-en-Provence, le 6 septembre
2002.
* Salem Chaker
Né en 1950, universitaire algérien, docteur en lettres,
spécialiste de linguistique berbère, est professeur des universités de berbère
à l'Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) de Paris
depuis 1989. Il succède notamment à André Basset et Lionel Galand.
...A suivre
Références et illustrations Daboudj1948
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