mercredi 14 avril 2010

Ourida Meddad....Azeffoun les environs....La Casbah !





 (Troisième partie)



….En Schmitt, Cloarec dit admirer le chef militaire. "En Algérie, nous l’appelions “le professeur”. Avant de nous embarquer dans une opération, il étudiait minutieusement la situation. Il a souvent évité de nous faire tuer, à l’inverse d’autres lieutenants, des fous qui ne cherchaient qu’une chose : obtenir la rouge [la Légion d’honneur] !



Schmitt, on lui faisait confiance. Avec lui, on aurait accepté de passer par un trou de souris ! [...]" Quand il découvre l’article du "Monde", le samedi 19 mars 2005, Cloarec est assailli de sentiments contradictoires.
D’un côté, il souffre et s’exaspère de voir l’armée française et le général Schmitt de nouveau "jetés en pâture". De l’autre, il est bouleversé d’apprendre que les Algériens n’éprouvent ni haine ni ressentiment envers la France. Ainsi, les moudjahidin seraient prêts à tourner la page sur les tortures, les exécutions sommaires et tout le reste pourvu que ces horreurs soient reconnues ? Cloarec n’en revient pas. Il lit et relit les propos de Lyès Hani, Mouloud Arbadji et Rachid Ferahi.
Et si c’était vrai ? Tel est l’état d’esprit de Raymond Cloarec lorsque je lui téléphone pour la première fois. "Allô, madame Beaugé ? Je me suis permis d’appeler le général Schmitt pour lui dire que j’étais en contact avec vous. Mince ! Je n’en reviens pas. C’est la première fois qu’il me parle comme cela : “Cloarec, vous êtes un minable, vous êtes un salaud ! Vous m’avez trahi ! Tout ce que j’essaie de contredire, vous l’avez raconté à cette femme infâme.” [...] Ça a duré trois quarts d’heure. Il m’a incendié. Il était fou de rage ! J’ai répondu : “Ecoutez, mon général, on est attaqué, j’essaie de vous défendre ! - Vous n’aviez pas à me défendre, fallait pas parler à cette femme ! - Mais je n’ai rien dit d’autre que la vérité, mon général ! Ce que j’ai écrit [aux Archives de Vincennes], c’est ce que j’ai vécu ! [...] Et de toutes les façons, elle peut aller voir dans les archives, elle va les lire, je lui ai donné la cote [référence] et tout, elle peut y aller, et c’est écrit ! - Ah bon, mais si c’est comme ça, je vais appeler les Archives. Je vais interdire qu’elle les lise, vos archives !” [...]
Mardi 29 mars.
Me voici aux Archives militaires, dans l’enceinte du château de Vincennes, à la première heure. Le week-end m’a paru interminable. Les Archives sont en effet fermées du samedi au lundi inclus.
J’obtiens sans difficulté le fonds Cloarec, cote 1KT 1208, division des fonds privés. Personne n’a tenté de me barrer la route. Assise dans la grande salle de lecture, au milieu d’une trentaine de chercheurs, je consulte le dossier. A première vue, il ne contient aucune révélation spectaculaire. [...] Dans un classeur intitulé "Ma guerre d’Algérie.
Ce dont je me souviens", Cloarec a versé aussi bien ses souvenirs de combat que ses citations militaires, ses photos souvenirs, ses échanges épistolaires et des considérations personnelles. [...] Cloarec a rédigé ces souvenirs quand la torture faisait la une de l’actualité en France, en 2000 et 2001. On sent un homme profondément déstabilisé. Il ne sait plus quoi penser.
Que souhaite-t-il ? Lui-même ne le sait pas. Tantôt il s’élève contre "ces infâmes accusations de torture qui visent nos soldats", tantôt il supplie que l’on commence à "faire notre mea culpa des deux côtés". A la France, estime-t-il, de donner l’exemple, puisqu’elle est un pays démocratique. Certaines de ses phrases sonnent comme des cris ou des appels au secours : "Après avoir vu ce que j’ai vu, seule la mort viendra me libérer de ce harcèlement cauchemardesque et je trouverai enfin le repos. [...]"
Parler ? Se taire ? Où est son devoir ? Cloarec semble écartelé. [...] Entre fin mars et fin avril 2005, nous nous appelons presque quotidiennement, Cloarec et moi. Je ne l’enregistre jamais mais je prends des notes et il le sait.
Il continue de me rapporter, éberlué, ses coups de fil avec Schmitt, ainsi que leur échange de courrier, jusqu’à la rupture finale. "Cloarec, vous me plantez un coup de poignard dans le dos ! Vous défendez des FLN au lieu d’avoir l’esprit de corps !" [...]
Un peu plus tard, c’est au tour de Bigeard de faire pression. Il le fait à sa façon, moins brutale, moins arrogante, en jouant sur le registre affectif. " Et l’esprit para, Cloarec ? Vous oubliez l’esprit para ? - Non, mon général, je ne l’oublie pas, mais je travaille pour la vérité. [...]" Je sens Cloarec écœuré.
Ses idoles s’écroulent. S’il ne se fait plus la moindre illusion sur le général Schmitt, il garde pour Bigeard une affection indéfectible et tente encore de lui trouver des excuses. " Pourquoi continuent-ils à nier, tous les deux ? Je ne les comprends pas, soupire-t-il régulièrement au téléphone. Ils ne veulent pas admettre ce qui s’est passé. [...]" Jour après jour, Cloarec se livre davantage.
Certains souvenirs l’obsèdent. Il ne s’est jamais confié à qui que ce soit et aujourd’hui il éprouve le besoin de " soulager sa conscience qui [le] torture depuis quarante-cinq ans ". Alors, il parle, sans s’arrêter. [...]
" Il fallait toujours être les meilleurs. C’était à qui ramènerait le plus de renseignements. Alors, un cadavre de plus ou de moins..." Dans ce climat, tout était bon pour tester les hommes.
Un jour, Cloarec reçoit ainsi l’ordre d’abattre un interprète musulman, l’homme parle trop fort tandis que l’unité est en pleine opération, il devient dangereux. " “Descends-le et sans faire de bruit !” ordonne le lieutenant P. Je l’ai emmené et je l’ai poignardé jusqu’à ce qu’il tombe... Il fallait qu’on prouve en permanence que nous étions des durs. On nous inculquait la haine. Mais cette haine, elle nous venait aussi spontanément quand nous découvrions les atrocités des fellaghas. Il suffisait qu’on tombe sur des copains égorgés et mutilés, des civils éventrés..."....A suivre

Illustrations Daboudj1948 

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