(Quatrième partie et fin)
….Quand il lui arrivait de se poser des questions et de manifester des doutes après une exécution sommaire, *Cloarec s’entendait répondre : " T’en fais pas, de toutes les façons, c’était un traître à la patrie." Avec le même lieutenant P., les paras du "peloton fana" vont un jour massacrer un douar en Kabylie puis l’incendier. Les femmes se sont enfuies. Les enfants se sont cachés. Il reste 37 hommes, dont beaucoup sont âgés ou infirmes.
On les regroupe et on les abat au pistolet-mitrailleur. De ce village, qui constituait un point de ravitaillement pour le FLN, il ne restera plus une trace. " Le pire, c’est que tous les hommes n’étaient pas morts, ils faisaient semblant de l’être en s’écroulant les uns sur les autres. On m’a donné l’ordre de soulever la tête de chacun d’eux pour vérifier ce qu’il en était et de tirer la dernière rafale, se souvient douloureusement Cloarec. J’ai toujours en mémoire le regard de l’un de ces blessés. Ses yeux disaient : “Il va me tuer !” Tout cela, je l’ai vécu, je le porte en moi... C’est pour toutes ces choses, général Schmitt, qu’il ne faut pas me pousser ! [...]"
Quand Cloarec n’était pas en opération, l’une de ses tâches consistait à faire le tour des centres de torture d’Alger (villa Sésini, école Sarouy, villa Nador, Bains Romains...) pour ramasser les corps de ceux qui avaient succombé lors des interrogatoires. " J’avais l’ordre de les jeter dans un ravin, ou en plein centre d’Alger, puis de tirer sur eux une rafale de mitraillette. Ensuite, j’allais déclarer : “Fuyard abattu”..."
Parmi les scènes qu’il "garde sur le cœur depuis quarante-cinq ans", Cloarec en cite une qui s’est passée en Kabylie.
On arrête un fellouze, les armes à la main. Le lieutenant P. décide de l’interroger. Le type a droit à toutes les tortures. Il ne dit rien. Quand l’interrogatoire est terminé, P. dit à Cloarec : "Y a plus rien à en tirer, descends-le." Cloarec emmène le prisonnier dans un oued, 100 mètres plus loin, et le fait mettre à genoux. " Caporal, laissez-moi mettre ma médaille militaire, je l’ai dans ma poche ", dit alors le condamné. Cloarec le fouille. La médaille est bien là, avec un certificat tout chiffonné mais très lisible. " Mettez-la-moi sur la poitrine ", demande le prisonnier. " Où c’est que t’as gagné cela ? l’interroge Cloarec. - J’ai fait la guerre bien avant toi. J’ai servi la France dans l’armée française [pendant la Seconde Guerre mondiale]. J’ai défendu ton pays et je n’ai pas peur de mourir. " Cloarec s’étonne : "Mais pourquoi maintenant tu nous tires dessus ?" Réponse : "Parce que, aujourd’hui, je défends mon pays !" L’homme regarde Cloarec droit dans les yeux jusqu’à la fin. "Je lui ai tiré trois balles dans la tête. Dans l’ambiance de l’époque, j’étais sûr que j’avais raison. Je devais l’abattre comme un chien. Il était un ennemi et un tortionnaire, comme les autres. Mais depuis cinquante ans, ses yeux ne me lâchent pas. Aujourd’hui, je sais qu’il avait autant le droit de vivre que moi. [...]"
Article de la rubrique : torture
date de publication : samedi 10 septembre 2005
date de publication : samedi 10 septembre 2005
Florence BEAUGE
*Extraits
de la lettre de adressée à Sarkozy par Cloarec
" Nice, le 6 décembre 2007
Monsieur le Président,
Tout d’abord, avant toute chose, permettez-moi en ma qualité d’Ancien
Combattant de vous féliciter pour votre premier pas envers l’Algérie au nom de
la France. D’autant plus méritoire du fait que vous êtes la génération des 50
ans, ceux qui n’ont pas connu cette guerre…. Pourquoi j’ai tué 92 Algériens
dont 75 de mon fait, sur ordres. Voyez mes citations (ci-jointes) : à
l’ordre de l’Armée à l’ordre du Corps d’Armée à l’ordre du Régiment et la
Légion d’Honneur. « Médaille militaire" à 20 ans pour services
exceptionnels par le général de Gaule
Je m’explique : aujourd’hui, 50 ans après, quand je repense à ces
tueries, M. le Président, aujourd’hui, comme d’ailleurs depuis 50 ans, ces
crimes me harcèlent, me donnent envie de vomir, de hurler mes remords d’avoir
obéi aux ordres, d’avoir exécuté sommairement très souvent des hommes, jamais
de femmes ni d’enfants. Heureusement, car je crois qu’aujourd’hui il y a
longtemps que je me serais suicidé.
Monsieur le Président, je préfère m’arrêter là, mais ne croyez-vous pas
que mes révélations sont une forme de repentance personnelle ?....
....Résolution du colonel Pierre Alban Thoamas Raymond Cloarec Ancien du 3e
RPCV – RPIMA – 5 années 1/2 « Opérationnel » Ex-caporal – caporal
chef-sergent – sergent-chef – adjudant.
"
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