(Deuxième partie)
….Même chose pour Ali MOULAI et Saïd BAKEL [deux responsables de région du FLN], comment le général Schmitt peut-il prétendre qu’ils ont parlé sans même qu’on ait eu besoin de leur donner une seule gifle ?
Tous deux ont été affreusement torturés à l’école Sarouy, ils étaient là, en même temps que moi, ce qu’ils ont enduré est abominable.
Je me souviens que Saïd BAKEL implorait Dieu de mourir, il n’en pouvait plus de ce qu’on lui infligeait. [...] "
Dans la salle des supplices, Lyès Hani croise un jour une jeune fille qu’il connaît depuis qu’elle est enfant, elle s’appelle Ourida Meddad.
Elle a 19 ans, "Je sortais de la salle de tortures. Elle y entrait. On l’avait mise nue. On a commencé à la passer à la gégène devant moi. Le lieutenant Schmitt était là. Ensuite, on m’a fait sortir."
Lyès est enfermé avec d’autres détenus dans une salle de classe du rez-de-chaussée quand le corps d’Ourida Meddad vient se fracasser, un jour d’août, dans la cour de l’école.
L’adolescente s’est-elle suicidée ou l’a-t-on jetée par la fenêtre ? Il l’ignore. Ce qui est sûr, en revanche, c’est qu’elle était dans la salle de torture, au premier étage, avant de chuter. " J’ai entendu l’un des tortionnaires descendre l’escalier à toute vitesse en criant : “La salope, elle s’est défenestrée !” J’ai retenu ce mot parce que c’était la première fois que je l’entendais. [...] " Rachid Ferahi a 15 ans quand il voit son père torturé devant lui à l’école Sarouy. Avec Mouloud Arbadji, il fait partie des plus jeunes moudjahidin de la guerre de libération. Sur son scooter, l’adolescent transporte des bombes.
Son père est arrêté le 6 août 1957. Quelques heures plus tard, c’est au tour du fils d’être interpellé et conduit à l’école Sarouy. Au premier étage de l’établissement scolaire, Rachid Ferahi découvre son père, nu, attaché à une barre de fer glissée sous ses genoux, les mains ligotées sur les pieds. La barre est posée entre deux tables de classe. Juste à côté, "maigre comme un Ethiopien", est assis un chef de région du FLN, Ali Moulaï, dans un état épouvantable. "
Il était cadavérique. On voyait ses côtes à l’œil nu. On lui avait rasé les cheveux ainsi que la moustache. Pour achever de l’humilier, on avait placé à côté de lui une bouteille de vin et un verre. Comme s’il buvait de l’alcool, lui, le musulman ! Schmitt était debout, face à lui. Il tenait une bouteille à la main, avec de l’eau dedans mélangée à du détergent ou quelque chose comme cela. De voir ce spectacle, mon père et Ali Moulaï, tous deux dans cet état, j’étais déjà détruit. " Le lieutenant Schmitt était, dit-il, " le chef d’orchestre des tortures et jouissait particulièrement quand l’un de nous était humilié ".
En pleine nuit, se souvient-il, cet officier venait le réveiller, à coups de pied, en lui criant : "Alors, petit fellagha, quand est-ce qu’on te coupe la tête ?"
Comme Lyès Hani, Rachid Ferahi se dit prêt à pardonner les tortures mais pas les mensonges ou les dénégations. "Les tortures, je dirais : “C’était de bonne guerre”. Mais affirmer qu’Ali Moulaï a été retourné par l’armée française, alors qu’il a parlé sous l’effet d’épouvantables tortures, je ne peux pas le supporter." Rachid Ferahi est resté marqué par une scène "totalement gratuite" à ses yeux.
"Schmitt a fait danser, nu, un des chefs de la résistance, cet homme s’était déjà complètement vidé de ses tripes, alors qu’il avait tout déballé, qu’on ne lui avait rien laissé de son honneur, Schmitt s’amusait à lui crier : “Danse ! Danse !” Et l’autre, brisé, a dû obéir."
Ces témoignages sortent dans "le Monde" du vendredi 18 mars 2005, daté du 19, jour anniversaire du cessez-le-feu entre la France et l’Algérie, au lendemain des accords d’Evian, en 1962. Sollicité pour un entretien dans ce même numéro, afin qu’il puisse donner sa propre version des événements, le général Schmitt a décliné la proposition.
L’ancien chef d’état-major a fait valoir qu’il était engagé dans deux procès en appel et qu’il s’était "fixé comme règle de réserver [ses] déclarations aux juges". Le général Schmitt va cependant finir par réagir, en choisissant son média. Le samedi 19 mars, il déclare sur France-Inter que ces accusations de torture formulées contre lui sont "de la pure affabulation". " [L’école Sarouy] n’était pas un centre d’interrogatoires. C’était le cantonnement de la compagnie d’appui du 3e RPC et nous avions d’ailleurs essentiellement des missions de type Vigipirate, patrouilles, gardes, etc. [...] Il n’y a pas eu de séances de torture.
C’est une pure invention de gens qui veulent se venger quarante-huit ans après qu’on les a fait tomber en les piégeant par la ruse. Seulement si aujourd’hui ils disaient : “Nous avons parlé sans être torturés”, tout s’écroule autour d’eux. La torture, elle a été employée, mais je dis : en août, nous n’avons pas eu besoin de l’employer. C’est une vengeance tardive." "Affabulation ? Pure invention ?" Le général Schmitt aurait mieux fait de se taire. [...]
Quelques jours après que "le Monde" eut consacré deux pages au passé du général Schmitt à l’école Sarouy arrive au journal une grande enveloppe blanche en provenance de Nice. Un certain Raymond Cloarec, chevalier de la Légion d’honneur et médaillé militaire, se porte au secours de celui qui fut lieutenant en Algérie, en 1957.
Cet ancien parachutiste s’indigne "qu’on accable" l’un des plus brillants généraux de l’armée française, "qu’on le diffame et qu’on l’humilie". Une grande photo est jointe à ce courrier.Elle est datée du 17 septembre 2002. On y voit, posant côte à côte, Raymond Cloarec et le général Schmitt.
Mais ce n’est pas tout. Outre sa lettre et la photo, l’inconnu joint un document de quatre pages. Il s’agit, explique-t-il, d’un extrait de ses Mémoires, qu’il a rédigés et déposés en 2002 au Service historique de l’Armée de Terre, le SHAT, autrement dit aux Archives militaires de Vincennes. [...] Médusée par cet envoi tombé du ciel, j’appelle ce Raymond Cloarec. Je ne sais pas à quoi m’attendre.
Dans le courrier qu’il m’a envoyé, tout se mélange : coups de colère et bons sentiments. Comment va-t-il m’accueillir ? Contre toute attente, le contact est bon. Très vite, la confiance s’établit.
La conversation va durer une heure et demie. Je découvre un homme de 69 ans au parcours totalement atypique. Mécanicien électricien de formation, Cloarec a 19 ans quand il s’engage dans l’armée. Il arrive en Algérie en 1955 avec le 3e RPC, régiment d’élite qu’il ne quittera plus. "Je suis un enfant du "3"", aime-t-il répéter. [...] Cloarec considère Bigeard comme son "père spirituel". Chaque dimanche matin, il l’appelle au téléphone, à 10 heures précises. Tous deux évoquent le bon vieux temps. Le général lui dit souvent : "Cloarec, vous êtes un de ceux qui ont “fabriqué” Bigeard !"....A suivre
Illustrations Daboudj1948
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