Evocation. Il y a une année, l’artiste s’en allait
Alger sans Ezzahi
Au-delà des rares physiciens capables d’en comprendre
le fonctionnement, l’existence quelque part sur la planète d’une horloge
atomique ne variant pas d’une seconde en 15 milliards d’années rassure
toute l’humanité sur l’existence du temps.
De même,
l’existence discrète et retirée de Amar Ezzahi à Alger nous rassurait tous sur
la possibilité d’un poète dans cette ville désenchantée. Aujourd’hui
qu’il a disparu, toute parole ou hommage reste en deçà, ou à côté, de ce qu’il
était. Amar Ezzahi n’avait pas une vie et une œuvre, comme il en va pour
beaucoup d’artistes. Il avait une légende qui subsumait le tout.
D’aucuns se
plaignent que les mythologies contradictoires tissées autour de sa vie
solitaire faussent notre jugement sur son travail artistique. Les uns parlent
d’un ascète absorbé dans la méditation, d’autres d’un grand timide confronté à
une célébrité hors normes, certains évoquent une dépression, d’autres, une
déception amoureuse non cicatrisée…
Amar At-Zaï
est sans doute quelque part au croisement de ces biographies populaires. Il est
aussi et surtout entièrement présent dans son art. Ezzahi n’était pas le plus
démonstratif des interprètes. Que de débats vains pour trancher entre la
virtuosité de Guerouabi et la subtile sobriété d’Ezzahi ! Et si cette
sobriété était précisément le prolongement de la vie dans l’œuvre ?
Chanter comme on parle et vivre comme on chante.
C’est ce que
proclame ce chant confinant au récitatif rythmé. Une voix sans fioriture, une
voix murmurée qui vous confie les secrets des mystiques, les joies de la
rencontre et la douleur de la séparation dans l’intonation des mots de tous les
jours. Ezzahi proposait d’entrer dans l’intimité du texte sans emphase et sans
effets de manche. Que l’on écoute deux enregistrements d’une même qacida et on
aura de grandes chances de tomber sur deux mélodies différentes.
S’il a
privilégié les qaâdates intimes de mélomanes à la scène des salles de concert,
c’est peut-être aussi pour ce choix artistique. Ne pas s’enfermer dans une
interprétation figée (calibrée pour la scène ou le studio) mais rester au plus
près de la vérité de l’instant. Certains ont parlé d’improvisation ; le
terme de composition instantanée serait peut-être plus juste. Un fabuleux
exercice de création composant rythmes, modes et textes pour une œuvre
quasiment unique à chaque représentation.
Evidemment,
les oublis et les ratages ponctuels sont inévitables dans une entreprise aussi
risquée. Mais Ezzahi avait ce talent de remonter aussitôt en selle et l’on
remarquait à peine l’imperfection tant le naturel l’emportait. Reproche-t-on à
l’amoureux de bégayer, au mystique de divaguer, au condamné de
s’essouffler en prononçant ses dernières paroles ?
Ezzahi
jouait le tout pour le tout, privilégiant cette vérité de l’instant à une
hypothétique perfection intemporelle. La perfection n’est pas de ce monde, mais
la vérité est possible. Comme la sincérité. Ainsi entendons-nous l’art
d’Ezzahi.
La modestie
et la générosité de l’homme sont donc bel et bien dans son œuvre. Et
inversement… Quand un individu, mal inspiré, lui avait proposé de payer son
pèlerinage aux Lieux saints de l’Islam, c’est avec des vers de Ben Msayeb que
l’artiste le remettra à sa place. Au pouvoir de l’argent et aux vanités de la
célébrité, il opposait sereinement la vérité nue des poètes. C’est avant tout
une part de cette vérité que nous avons perdue en perdant Amar Ezzahi.
Walid Bouchakour
El Watan le 02.12.17
Illustrations Daboudj1948
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