(Suite des precedents messages)
La course au pouvoir ayant pris le pas sur les objectifs
de Novembre, à savoir la démocratie et les libertés, c’était déjà un horizon
assombri qui se profilait.» A sa retraite,
Abderrahmane participe à la création du magazine Escales
avec Azzegagh, Mouloud Achour et Abderrahamne Lounes. «Le premier numéro était
centré sur la personnalité de Smaïl Aït Djaffar, le génial poète qui a écrit La
complainte des mendiants de la Casbah, mais le magazine a fait long feu…
M’hamed, le frère de Djaffar, m’a remis des poèmes inédits dont Le Cri qui
porte sur les tortures que Smaïl avait endurées de la part de la police de Ben
Bella, alors qu’il était directeur de l’aéroport d’Alger.
J’attends de trouver un éditeur, enfant de La Casbah,,
Abderrahmane est affecté par cette cité blessée, martyrisée, dégradée. «La
Casbah a failli être sauvée en 1998 du temps du Gouvernorat d’Alger…
L’opération avait commencé par 3 îlots qui ont été traités : Sidi Ramdane, Souk
El Djemaâ et la Marine.
La machine avait commencé à fonctionner. Avant son
élection, Bouteflika s’est appuyé sur Yacef Saâdi et avait promis monts et
merveilles. Une fois élu, tout est tombé à l’eau avec la disparition du
gouvernorat ! Je suis sidéré et estomaqué, car on avait une chance inouïe de
réhabiliter la Citadelle…» Justement, dans Brin de menthe à l’oreille, (APIC
2014)
Abderrahmane raconte cette Casbah lors du débarquement
américain en 1942, et vadrouille dans l’histoire jusqu’en 1954 avec le
bouillonnement nationaliste et les crises qui l’ont secoué. «J’ai décrit toute
cette ambiance en rendant hommage aux Juifs de La Casbah qui ont aidé leurs
voisins musulmans pendant les périodes de misère.
J’ai créé un personnage, Raymond Timsit, un ancien
communiste, ancien de la guerre d’Espagne. Les services de Ben Gourion lui
envoient un agent sioniste pour le
récupérer. Comme c’est quelqu’un qui se déclare Juif berbère et progressiste,
il les envoie paître. J’y évoqué fortement la cause palestinienne.
Pour cela, j’ai été zappé !» Abderrahmane sait ce que la
presse a enduré depuis Octobre 1988, qui reste une date indélébile où l’Agence
s’est distinguée par sa passivité. Le chef du service reportage a pris sur lui
d’aller sur les lieux enflammés. Il n’en est jamais revenu. «Cela m’a
bouleversé plus que les autres.
Parce que, moralement, c’est moi qui l’ai poussé. On ne
savait quoi dire à sa mère éplorée, de surcroît veuve de chahid. Benmechiche
était le premier martyr de la presse algérienne. La décennie rouge qui allait
suivre a été une hécatombe pour la corporation qui a perdu un bon nombre des
siens, dont le premier, en l’occurrence Ferhat Cherkit, qui écrivait
régulièrement sur la mafia politico-financière en a payé le prix.» L’avènement
de la presse privée a suscité chez Abderrahmane un soulagement indicible. «J’en
étais emballé.
Je me rappelle des débats démocratiques contradictoires
organisés en direct à la télévision sous la férule de Abdou B. C’étaient des
moments forts.» Rien à voir avec la presse unique de propagande, loin des
masses et qui ne parlait qu’à elle-même ; parmi ses cocasseries, nous avons
encore en mémoire ce fait saugrenu, dont l’héroïne n’est autre que l’APS,
agence officielle. Tellement officielle qu’elle eut l’exclusivité d’annoncer
l’attentat perpétré en janvier 1976 au siège du journal El Moudjahid. Le
quotidien national reprit le lendemain la dépêche in extenso de l’APS, sans
souffler mot du grave sabotage dont ses locaux ont été la cible.
En matière de rétention de l’information, on ne pouvait
faire mieux, vous en conviendrez.
Abderrahamne est conscient que la presse actuelle, du
moins certains titres, tente de défendre les acquis démocratiques acquis de
haute lutte avec une liberté de ton et un professionnalisme qui agacent le
pouvoir «qui n’a rien à voir avec les libertés individuelles et qui fait tout
pour les brider.
Le chantage à la publicité est un signal inquiétant qui
dénote des sombres intentions du régime. C’est un recul impressionnant par
rapport à l’ouverture engagée il y a un quart de siècle.» Le combat de cette
presse est primordial parce qu’il nous permet d’être en phase avec la réalité
et de nous prémunir contre les rideaux de fumée et les élucubrations du
pouvoir.
«On veut étouffer les revendications légitimes des
chômeurs et des protestataires d’In Salah, on bâillonne la presse et on ferme
les espaces, tempête notre interlocuteur qui invite la presse à se transcender.
Elle doit sortir des stéréotypes et des schémas figés. Le
terrain m’a appris à connaître les problèmes du pays profond. Il faut retourner
au journalisme d’investigation qui seul permet d’être en harmonie avec les
pulsations de la société.» «Comme le sportif, le journaliste est l’ami de
l’émotion. S’il n’est pas ému, il ne peut émouvoir. L’exemple de nos confrères
assassinés qui n’avaient pas peur du risque et des menaces doit nous inspirer»,
suggère Abderrahmane.
Hamid Tahri
El Watan le 03.05.15
*Illustrations Daboudj1948
...A suivre
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