Malek Bensmaïl . Réalisateur
«L’histoire d’un film comme
prisme pour raconter l’Histoire sans tabou»
Dans son nouveau documentaire, le cinéaste Malek
Bensmaïl donne une nouvelle lecture décapante du film La Bataille d’Alger,
rapportant au présent l’événement historique phare de la Révolution.
Comment est
née l’idée de ce film ?
Le désir
d’un film surgit souvent à partir des autres films réalisés et d’une suite de
questions qui restent posées, suspendues. Au fil de mes films, la question de
la décolonisation reste essentielle et est toujours d’actualité, presque malgré
moi. L’idée de travailler sur la question du mythe me plaît beaucoup. Avec ce
film, j’avais envie de tenter l’expérience d’un déplacement du regard vers mon
passé, mon enfance et donc le cinéma. Quoi de plus passionnant que de revenir
sur ce film majeur, La Bataille d’Alger, qui a marqué notre enfance, en
renforçant le mythe guerrier, mais qui a également changé le cours de
l’histoire d’un pays, de son cinéma et de son rapport aux autres.
Qu’avez-vous découvert sur cette histoire de la Bataille d’Alger au fur et à mesure de son tournage ?
Qu’avez-vous découvert sur cette histoire de la Bataille d’Alger au fur et à mesure de son tournage ?
J’ai appris
beaucoup de choses, des anecdotes bien sûr de l’équipe algérienne, leur vécu au
sein du tournage et la vraie bataille en 57, mais également des informations
cruciales venant d’experts, je pense à Daho Djerbal, Mohamed Harbi, Jamal
Joseph, le colonel Nagl…Je reviens sur le coup d’Etat de juin 65, la torture
sous Boumediène, les années 70 avec la présence des Black Panthers dans les
rues de La Casbah…
Le
documentaire rend à la fois hommage à l’équipe algérienne (et italienne),
souvent laissée dans l’ombre, et donne à voir un essai d’interprétation
du film, de sa fabrication, de son époque, du rapport au mythe qu’est devenu
Ali La Pointe, par exemple, et de ce que cela raconte aujourd’hui, 50 ans après
sa réalisation, tant pour le public algérien que pour le public français (ou le
film fut interdit) et mondial par la suite pour des raisons d’ailleurs de
stratégie de guérillas pour certains ou de contre-guérillas pour les autres.
Comment
êtes-vous parvenu à avoir ce casting exceptionnel de témoins ou de
commentateurs ?
Un travail
titanesque et passionnant en solo, puis avec mes producteurs, mais aussi avec
l’ensemble des assistants ici à Alger, à Rome, à Paris ou aux Etats-Unis. J’ai
passé un temps conséquent à me documenter, visionner le film, des archives,
parcourir tous les documents historiques à la fois sur la Bataille de 57 mais
aussi sur la période du film et de sa sortie, lire les thèses de cinéma sur le
film…Puis j’ai commencé à réunir les personnalités qui me semblaient les plus
intéressantes et incontournables, croiser les témoignages. Malheureusement pour
certains, je n’ai pas pu les intégrer dans le montage final mais leurs
contributions étaient passionnantes.
Plus qu’un film sur l’Histoire, votre documentaire parle du présent. Est-ce voulu ou est-ce venu dans le déroulé du tournage ?
Plus qu’un film sur l’Histoire, votre documentaire parle du présent. Est-ce voulu ou est-ce venu dans le déroulé du tournage ?
J’ai toujours
convoqué le passé par le présent. C’est cela qui est formidable. Le
documentaire plus que tout autre genre cinématographique privilégie «l’autre»
et fait évoluer «le moi» au présent. Enfin, c’est comme cela que je le conçois
et que je tente de faire mes films à ma manière. Vous comprendrez aisément ma
détermination à réinventer avec force d’indépendance et de liberté, en dehors
d’un conformisme imposée ici ou là…
Le principe
n’étant pas de réitérer les formes déjà existantes de films «sur» les films. Ici,
c’est l’histoire d’un film comme prisme pour raconter l’histoire de notre pays
sans tabou. Une manière de rendre l’histoire complexe plus accessible et
passionnante pour toutes les générations. Je suis un enfant de l’indépendance,
alors au-delà du récit historique, ce film est politique.
L’Histoire est un peu terrifiante en quelque sorte quand on voit La Casbah en ruines, comme on l’a rarement filmée ainsi. Les vieux démons chassent-ils la vision angélique de la Révolution ?
L’Histoire est un peu terrifiante en quelque sorte quand on voit La Casbah en ruines, comme on l’a rarement filmée ainsi. Les vieux démons chassent-ils la vision angélique de la Révolution ?
Disons
qu’une question m’accompagne régulièrement : comment l’histoire vit et se
sédimente en nous et dans notre présent ? Mon intention avec ce film est de
créer un espace de résonance où l’on peut penser, questionner, repenser
l’histoire aujourd’hui, aussi avec la jeune génération, sans mensonges, ni
manipulation. Les sites du film sont les lieux urbains de La Casbah
d’Alger, un quartier historique d’Alger comprenant la vieille ville (Inscrite
au patrimoine de l’Unesco depuis 1992 !).
Ces lieux
nous montrent aussi ce qu’est devenue La Casbah d’aujourd’hui, véritable poumon
de la ville d’Alger, ses habitants humbles, sa vie, certaines maisons sont
quasi à l’abandon, des ordures partout. Il y a aussi des maisons qui
s’effondrent au fil des années, laissant place à des terrains de jeu pour les
gamins … L’historien Daho Djerbal le résume bien dans le film : «Dans ce lieu qui est devenu légendaire, on a aussi un lieu
de vérité qui dérange, et ce lieu qui dérange c’est ce visage délabré et calamiteux
d’un lieu historique…Tout est dit.»
Vous consacrez un passage du film à la vision américaine, qu’en retenez-vous ?
Vous consacrez un passage du film à la vision américaine, qu’en retenez-vous ?
Oui, aux
Etats-Unis, le film a été montré dès l’interdiction en France. La gauche
américaine en a fait un film tel un hymne à entonner. Le film a été pris comme
exemple à suivre par les militants du Black Panther Party, et lors des guerres
d’Irak et d’Afghanistan, il a été étudié par les stratèges au Pentagone afin de
penser l’écart qui peut exister entre victoire militaire et échec politique.
Laissons le spectateur découvrir le film.
Les
autorités algériennes vous ont-elles facilité la préparation de ce film ?
Nous avons
déposé à deux reprises un dossier d’aide au Fdatic, au sein de deux commissions
différentes, l’une sous la direction de Tahar Boukela (2015), l’autre de Ahmed
Bedjaoui (2016), avec un avis favorable pour les deux, qu’on vous transmet
d’ailleurs oralement mais sans aucune correspondance, ni lettre officielle.
La seule
bonne chose dans tout cela, c’est mon ami et producteur Hachemi Zertal qui a
fait le lien tout au long, avec le ministère de la Culture, et on a pu
décrocher les autorisations de tournage, mais du coup on a engagé des dépenses,
sous forme de dettes à rembourser. Nous avons pris la décision de tourner sans
attendre indéfiniment, car nous ne pouvions risquer de perdre entre-temps les
témoins, qui, pour certains, étaient à un âge avancé ou malades. Le temps du
cinéma et de la création n’est pas le temps de nos administrations... Il y a un
fossé, c’est malheureux pour notre cinéma.
Quand le public algérien pourra-t-il découvrir ce film ?
Quand le public algérien pourra-t-il découvrir ce film ?
Mes films,
je les conçois pour le public algérien, en premier lieu, dans mon écriture
même. Alors, je vous réponds, comme pour mes précédents films, j’espère très
vite, avec la présence de ceux qui ont fait les choses.
Actuellement vous travaillez sur quoi ?
Actuellement vous travaillez sur quoi ?
Je vais
d’abord accompagner ce nouveau film, le faire voyager à travers le monde tout
en continuant à travailler sur mon prochain film, tranquillement.
Walid Mebarek
El Watan le 01.10.17
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