Florence Beaugé
(Cinquième partie)
-Vous parlez de vos « frères » et « sœurs algériens ». Qu’est-ce qui fonde cette fraternité ?
C’est l’admiration que j’ai pour eux, cela m’est venu spontanément, le jour où j’ai écrit le passage sur la mort et les derniers mots de Ben M’hidi, je n’ai pas pu dormir pendant une nuit.
Aussaresses m’avait révélé comment cela s’était passé. Je n’ai pas donné beaucoup de détails parce que je trouve que cela ne sert à rien, il fallait réussir à trouver un ton juste, qui ne soit pas malsain, qui ne soit pas voyeuriste.
Aussaresses
Le paragraphe sur la mort de BEN M’HIDI est très bref, cela se passait dans une ferme de la Mitidja.
Ils étaient six parachutistes, Aussaresses compris, dans une salle, BEN M’HIDI était dans une pièce à côté, ils ont répété la scène, ils ont passé une corde autour d’un tuyau de chauffage suspendu au plafond.
L’un des paras est monté sur un tabouret, a passé la corde autour de son cou mimant la scène à venir, et cela a provoqué un fou rire général.
Rien que la précision est obscène, mais il fallait la dire, ensuite, ils ont fait rentrer BEN M’HIDI, ils ont voulu lui bander les yeux, BEN M’HIDI a refusé.
Larbi Ben M'hidi
Le para qui était chargé de lui mettre le bandeau autour des yeux lui a dit : « C’est un ordre. » Et BEN M’HIDI a répliqué : « Je sais ce que c’est que les ordres je suis colonel au sein de l’ALN. » ce qui voulait dire que l’on peut passer outre les ordres.
Aussaresses a maintenu qu’il voulait qu’on lui mette le bandeau, je pense pour ma part que ce sont eux qui ne supportaient pas de voir son regard.
Ils l’ont pendu, la corde s’est cassée, ils se sont repris une deuxième fois et là je n’ai pas cherché plus de précisions, j’ai simplement demandé à Aussaresses si Ben M’hidi n’avait plus rien dit jusqu’à la fin.
Et, en effet, il n’a plus rien dit, avant que mon livre ne sorte, je m’étais promise d’appeler la famille BEN M’HIDI et lui dire ce qui s’était passé, je ne voulais pas que les proches de BEN M’HIDI l’apprennent par le livre.
C’est ce que j’ai fait, je me sens proche de Larbi BEN M’HIDI, il était mon frère Ali BOUMENDJEL également.
Ali Boumendjel
C’est ma famille algérienne, ma famille élargie, Ourida MEDDAD aussi est ma sœur.
Ourida est la première personne à laquelle mon livre est dédié, j’ai eu envie que son histoire soit connue en France, qu’en Algérie on sache que des Français ne l’ont pas oubliée, je veux que sa famille sache qu’elle n’est pas morte pour rien, qu’on la salue.
-Qu’est-ce qui vous a émue dans Ourida MEDDAD ?
Le fait qu’elle soit si jeune, le fait qu’il y ait un doute autour de sa mort, s’est elle suicidée en se jetant par la fenêtre, ou est-ce qu’on l’a poussée ?
Je sais qu’en Algérie, pour sa famille, pour ses amis, ce genre de chose compte parce que les mémoires sont tellement meurtries qu’elles sont toutes à vif.
Pour moi, cela reste un geste héroïque, si Ourida s’est jetée par la fenêtre pour moi, c’est exactement comme si on l’avait poussée, cela n’a aucune importance.
Cette adolescente a été brûlée au chalumeau, torturée dans une école, sa mère est morte de chagrin six mois plus tard, son père en est mort quelques années plus tard, souhaitant qu’une de ses petites nièces porte le nom de Ourida, ce qui est le cas.
-Vous attendiez-vous à découvrir toutes ces horreurs ?
-Vous attendiez-vous à découvrir toutes ces horreurs ?
À ce point-là, absolument pas, je pensais en 2000 qu’il y avait eu des bavures pendant la guerre d’Algérie.
Au fur et à mesure, j’ai découvert que cela dépassait ce que j’avais pu imaginer, et que tous ceux qui avaient dénoncé ces exactions à l’époque avaient eu raison, mais c’était le secret des conjurés.
Je suis journaliste, pas historienne, et j’en ai tout à fait conscience, mais au moins depuis juin 2000 on a levé un coin du silence. Il faut dire la vérité pour tirer les leçons du passé.
Le devoir de vérité est, à mes yeux, plus important encore que le devoir de mémoire.
Nadjia Bouzeghrane (El Watan 13/092005)
Annotations et Illustrations Daboudj1948
....A suivre
....A suivre
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