(Deuxième partie)
Deuxième temps : la conférence de Paris en 1919
À cette conférence, ce sont les Français avec Clemenceau et les Britanniques avec Lloyd George qui ont le plus de poids. Les Italiens se retirent du jeu assez vite ; les Américains sont présents avec le président Wilson, ce qui va susciter beaucoup d’espérance parmi les peuples de la région, notamment chez les Arméniens, les Kurdes et les Arabes.
La conférence de paix reçut de nombreuses délégations (arabe, sioniste, arménienne, kurde...) qui viennent exposer leurs revendications. Les Arabes réclament l’indépendance mais il y a des revendications plus spécifiques. Par exemple, les Libanais veulent un grand Liban.
Le projet sioniste est présenté par (1)Weizmann, l’homme qui a obtenu la déclaration (2)Balfour. La carte précise la revendication sioniste : elle concerne toute une partie de la Palestine jusqu’à la ligne de chemin de fer qui va vers le Hedjaz, c’est-à-dire vers l’Arabie et inclut au nord les sources aquifères et toutes les réserves d’eau de ce qui sera le Liban. Le contrôle des fleuves importants, en particulier du Litani, est une revendication majeure des sionistes. On voit bien se dessiner les problèmes qui se poseront plus tard,
l’occupation du Sud- Liban et celle du Golan pour contrôler toute cette zone au nord de la Galilée.
Ces revendications sont donc contradictoires et l’on tranche à San Remo, en avril 1920, en faveur des puissants. Le Proche-Orient sera lié aux intérêts des Britanniques et des Français. Pour l’essentiel, on appliquera les principes qui ont été arrêtés par les accords Sykes-Picot, avec les modifications que j’ai indiquées. La Société des Nations (SDN) va donner des mandats aux Français et aux Britanniques. La France obtient un mandat sur la Syrie et un autre sur le Liban. C’est elle qui décide de la frontière et bâtit un grand Liban. Par contre, au nord, la France est perdante parce que Mustapha Kemal Atatürk refoule l’armée française qui occupait la Cilicie. Les Français doivent se replier en Syrie et au Liban.
Les Britanniques obtiennent un mandat sur la Mésopotamie qui va devenir l’Irak et un autre sur la Palestine puisque la France, en décembre 1918, l’a accepté. Il reste une zone entre la Palestine et l’Irak que les Britanniques érigent en territoire à part : ce sera la Transjordanie qui va du Jourdain jusqu’à la frontière de ce qui va devenir l’Irak.
Si l’on met de côté l’Arabie Saoudite et les Émirats du Golfe, on constate que partout le principe du mandat a triomphé. Tout est imposé par les Britanniques et les Français et partout, sauf au Liban où les Maronites ont eu gain de cause, il y a des révoltes : en Syrie, en Irak, en Transjordanie. En Irak, par exemple, en 1920, éclate une révolte extrêmement importante que les Britanniques brisent par les armes. Même chose en Syrie avec les Français. Pourtant, l’objectif est bien, en dix ou quinze ans, d’aboutir par étapes à l’indépendance. Les Britanniques progressent d’ailleurs dans cette direction plus vite que les Français. En Transjordanie, par exemple, dès 1923, on voit apparaître un État sous tutelle britannique ; en 1932, l’Irak est indépendant mais sous la même tutelle.
Par contre, pour la Palestine, la conférence de San Remo a repris, pratiquement mot à mot, la promesse Balfour pour l’insérer dans un document international ; et dans la charte du mandat que la SDN établit pour la Palestine, on retrouve encore la déclaration Balfour.
En 1922, lorsque le mandat commence, nous avons une situation tout à fait différente des autres pays. En Palestine, il y a une population arabe, majoritairement musulmane, avec une minorité chrétienne, qui voudrait avoir l’indépendance comme les autres ; mais il y a la réalité de ce foyer national juif qui représente à peu près 12 ou 13 % de la population avec une déclaration Balfour désormais entérinée par ce qu’on pourrait appeler la communauté internationale.
Je résume en deux mots : d’abord, des promesses contradictoires pendant la guerre ; ensuite, une conférence qui décide du destin des peuples et deux États qui ont décidé des frontières : la France et la Grande-Bretagne.
Les principales étapes du mandat en Palestine
On peut retrouver ces étapes en trois dates : 1922, 1929, 1936. Et un fil rouge : d’un côté, le nombre et de l’autre la terre. Trois dates avec le nombre et la terre. Il suffit alors d’articuler les différentes configurations de cet ensemble.
1922 : le mouvement sioniste s’intègre dans la structure même du mandat. Dès cette époque, le mouvement sioniste vise la création d’un État juif en Palestine ; cet État étant appréhendé de différentes manières selon les courants. Le projet est donc bien là alors que la base démographique n’existe pas encore.
Du côté arabe, les choses sont plus complexes. Il y avait des revendications nationalistes de la part d’une élite mais je ne crois pas qu’on puisse parler d’un nationalisme palestinien comme aujourd’hui.
La société palestinienne était très segmentée, organisée en clans avec des divisions internes très importantes, avec notamment les deux grandes familles, les Nashashibi et les Husseini.
La revendication arabe était complexe.(3) Fayçal, le leader de l’époque, qui est le fils d’Hussein de La Mecque et qui avait participé à la conférence de Paris, avait des revendications très précises : il voyait la Palestine comme une partie du royaume arabe et donc en fait une partie de la Syrie. En 1922, si l’idée d’un État palestinien n’apparaît pas, il y a, dès cette époque, des congrès palestiniens. Une élite palestinienne aspire à l’indépendance de la Palestine d’autant plus que les régions environnantes se structurent autour d’un État, sur un territoire déterminé.
Par contre, les Arabes de Palestine ont refusé l’immigration juive car ils la perçoivent comme un danger alors qu’ils sont chez eux, sur leurs terres. C’est bien pourquoi je disais que le fil rouge est à la fois le nombre et la terre. En 1922, il n’y a pas encore beaucoup de juifs ni de terres achetées. Pourtant, dès cette époque, les Arabes de Palestine refusent l’immigration et l’acquisition de terres.
1929 : l’immigration juive a commencé mais de manière limitée. Les conditions de vie en Palestine sont d’ailleurs assez difficiles et certains repartent.
Les chiffres qui apparaissent dans le tableau (cf. page suivante) montrent que cette immigration est peu importante au début.
On est parti de 12 % de population juive et l’on est maintenant à 15 %. Mais la crainte est là. Il y a déjà eu des heurts en 1920-22 mais c’est en 1929 que le premier affrontement vraiment très grave a lieu. Il se produit à Jérusalem, devant le Mur des Lamentations. Il y a toujours eu des querelles à propos du Mur mais là elles prennent un tour dramatique. Des heurts dramatiques ont lieu aussi à Hébron : des Juifs sont assassinés par des Arabes de la ville, en même temps que d’autres protègent les Juifs (les Palestiniens ne manquent pas de le rappeler aujourd’hui à Hébron). Cette affaire est extrêmement importante. Les colons qui, aujourd’hui, habitent Hébron disent qu’ils réoccupent les maisons que les Juifs avaient en 1929.
La situation est donc déjà très tendue en 1929 et les Britanniques, qui avaient ouvert la voie à l’immigration juive, mettent en place une politique beaucoup plus restrictive aussi bien sur l’immigration que sur l’achat des terres...A suivre
"Le Mandat britannique (1920-1948)"
Article de Jean-Paul Chagnollaud paru sur le blog de l'Association France Palestine Solidarité.(Illustrations et annotations Daboudj1948)
(1)Chaim Weizmann ou Haim Weizmann né le 27 novembre 1874 et mort le 9 novembre 1952, chimiste et homme politique britannique puis israélien, fut le premier président de l'État d'Israël entre 1949 et 1952 , élu le 16 mai 1948.
Chaim Weizmann et l'émir Faycal
(2)Arthur James Balfour (25 juillet 1848 - 19 mars 1930), 1er comte de Balfour, Premier ministre du Royaume Uni et chef du Parti Conservateur.
Arthur Balfour
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