jeudi 28 juillet 2022

Cheikh Ahmed Ben Mezrag Ben Mokrani

 



Algérien en Nouvelle-Calédonie : Le destin calédonien du déporté Ahmed Ben Mezrag Ben Mokrani

An Algerian in New Caledonia: the Caledonian destiny of deportee Ahmed Ben Mezrag Ben Mokrani

Isabelle Merle

p. 263-281

Ahmed Ben Mezrag Ben Mokrani, frère du principal leader de l’insurrection kabyle de 1871, membre de la prestigieuse famille Mokrani, dont le père fut Khalifat de la Medjana et allié du bey de Constantine, est condamné à mort le 27 mars 1873 pour incitation à la guerre et faits insurrectionnels. Sa peine est commuée le 13 octobre 1873 en déportation simple à la Nouvelle-Calédonie, où il débarque en octobre 1874.

L’homme est célèbre du fait de son histoire algérienne mais son devenir en Nouvelle-Calédonie où il réside jusqu’en 1904 est beaucoup moins connu. Ce sont pourtant les longues années passées dans cette île du Pacifique qui nous intéressent ici, au cours desquelles Ahmed Ben Mezrag rallie les forces françaises pour combattre l’insurrection kanak de 1878 puis s’installe à Nouméa pour monter et faire fructifier une entreprise postale. L’itinéraire est intéressant parce que paradoxal. Le fier notable kabyle, combattant contre l’occupation française, saura, en Nouvelle-Calédonie, s’accommoder de la « situation coloniale » en devenant un loyal représentant de la cause française et un honorable « habitant » de la colonie. L’enjeu est de mieux comprendre les logiques malheureuses ou heureuses d’un tel dénouement.

2 . Mohamed Ben Ahmed, originaire d’Algérie, est condamné à la transportation vers la Nouvelle Calédo (...)




3 . Rapport du Tribunal Maritime Spécial, Ile Nou, 25 mai 1918 (Ratzel, 2006, p. 38-39).

1En 1917, quelques quarante ans après la grande révolte kanak1 de 1878, le souvenir des « Arabes » attaquant les Kanak insurgés, est encore présent dans les mémoires locales. En témoignent les paroles échangées lors de l’interrogatoire du transporté Mohamed Ben Ahmed accusé en mars 1918 du meurtre du chef kanak, Bwëé Noël Pwatiba, figure importante de l’insurrection qui, a secoué, au cours de l’année précédente, le centre nord de la Nouvelle-Calédonie2. Ce chef kanak, rappelle Mohamed, « aurait parlé de l’insurrection de 1878 en disant qu’à cette époque, les Arabes avaient tué beaucoup d’indigènes mais que si cela se renouvelait aujourd’hui, les Canaques tueraient d’abord les Arabes»3.

 




4 . Latham Lynda,1978, p. 72.

2L’historiographie de la Nouvelle-Calédonie signale la participation de ceux qu’on appelait les « Arabes » à la répression qui ravagea, en 1878, les chefferies insurgées de la côte ouest sur une vaste étendue allant de Bouloupari au sud à Poya au nord. Linda Latham évoque, dans son étude publiée en 1978, « quarante arabes réunis en colonne militaire »4. Germaine Mailhé parle d’une formation d’éclaireurs kabyles, pris sur l’île des Pins et attribue à Boumezrag Mokrani le commandement de « quarante condamnés arabes » et de quatorze déportés de la Commune et d’actes de répressions menés dans la région de Bourail. Pour se poser finalement la question :



 

5 . Mailhé Germaine, 1994, p. 359-360.

« Pourquoi les Kabyles s’engagèrent-ils ? Eux qui devaient, victimes du colonialisme, s’associer aux autres victimes : les Canaques en rébellion. Peut-être les trouvaient-ils leurs inférieurs dans l’échelle de l’humanité. Ils étaient frères d’armes des Français : ne s’étaient-ils pas battus avec eux dans les plaines d’Alsace et avec l’armée de la Loire ? Peut-être espéraient-ils être graciés pour services rendus »5.

3Ces questions sont restées jusqu’ici sans réponse car les historiens de la fin des années 1970 et les suivants n’ont pas pu ou voulu poursuivre l’investigation. Cet article vise précisément à reprendre l’enquête en interrogeant d’abord à nouveau frais les sources dont on dispose concernant la participation des « Arabes » à la répression de l’insurrection kanak de 1878. L’enjeu cependant est de concentrer la focale sur la figure de l’homme qui se profile derrière cette participation ; Boumezrag El Mokrani, qui prit la suite de son frère, le Bachagha El Mokrani décédé lors de l’insurrection kabyle de 1871 et le paya par 31 ans d’exil en Nouvelle-Calédonie entre 1873 et 1904.

6 . Nous reprenons ici l’orthographe du mot que Louis Rinn utilise en 1891 (Rinn, 1891).

4Célébré en Algérie pour la guerre qu’il mène contre les Français en 1871, Boumezrag (dit aussi Ahmed Ben Mezrag) Ben Mokrani, issu de la prestigieuse famille Mokrani dont le père fut Khalifat6 de la Medjana et allié au bey de Constantine, est condamné à mort le 27 mars 1873 pour incitation à la guerre et faits insurrectionnels. Sa peine est commuée le 13 octobre 1873 en déportation simple à la Nouvelle-Calédonie, où il débarque en octobre 1874.

...A suivre


Boumezrag frère de Mohamed El Mokrani



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