Djamaa Es-sayida
(Suite du précédent message)
L’empreinte indélébile de la vie
«La vie humaine est telle une empreinte de pas dans le sable
est effacée par le vent dans la seconde même. Et il n’y a rien de plus beau et
de plus émouvant que de déterrer les traces de ceux qui sont partis depuis
longtemps, mais dont les témoignages de vie ont voyagé à travers les âges»,
murmure, les yeux couvant le site, Kamel Stiti, chargé de recherches pour le
CNRA et coresponsable des fouilles. C’est d’ailleurs une empreinte animale qui
semble le plus l’émouvoir et lui donner des élans philosophiques.
En contrebas de la mosquée et de ses offices, c’est d’une
vie commerciale et d’un savoir-faire hautement réputé dont les murs se font
l’écho. Cette partie de la cité urbaine est constituée d’habitations, d’un
quartier d’artisans, avec des boutiques et des ateliers de ferronnerie. L’on
devine ainsi ce qui devait être un four. Sur l’une des briques pleines
utilisées pour la construction d’un mur, l’on peut nettement distinguer les
coussinets d’une patte féline ou canine, «sûrement le compagnon animal d’un des
artisans. C’est beau !» commente M. Stiti.
Les morts du VIIe siècle se raconteront bientôt
Quelques siècles plus tôt. Mêmes lieux, mais ambiance plus
lourde, voire dramatique. Nous sommes au VIIe siècle. Dans ce quartier qui sera
plus tard plein de vie, l’on enterre les morts. Les tombes creusées à même le
sol sont entourées de mosaïques polychromes d’une grande beauté, vestiges et
ruines d’un édifice sur lequel la nécropole berbéro-byzantine s’est installée.
Une fois les corps mis en terre, les sépultures sont scellées d’une dalle ou
d’une grosse pierre. «Ce sont 71 tombes que l’on a mises au jour, abritant un
total de 112 individus», dit Lyes Arifi, l’un des archéologues en charge de
cette partie du chantier.
Dans le laboratoire où sont entreposés les ossements de ces
lointains ancêtres, une anthropologue a la lourde tâche de rassembler et
d’examiner chaque os, même les plus endommagés par le temps. D’un geste rompu à
l’exercice, elle s’empare de ce qui ressemble à une côte et la confronte au
schéma qui se trouve sous ses yeux.
Sur une table, un squelette est en partie reconstitué. La
boîte crânienne trône, tandis que non loin l’on a commencé à reproduire sa
mâchoire. «Ce qu’il y a de notable dans cette nécropole, ce sont que plusieurs
corps reposaient dans le même tombeau», signale le directeur du CNRA. Puis, en
montrant la photo d’une des sépultures lors de sa découverte, il explique :
«Là, on voit bien qu’il y a un corps d’adulte, auquel viennent s’ajouter ceux
de deux enfants.
En tout, nous avons trouvé 64 adultes et 48 individus
immatures.» Le mystère de ce rite funéraire sera toutefois bientôt éclairci.
«Les analyses des ossements nous permettront de connaître l’âge des individus
lors de leur mort, mais aussi et surtout les causes de leur décès. Nous
pourrons alors avoir une idée de la raison de la présence de tant d’enfants, si
cela est dû à une épidémie ou autre», s’enthousiasme M. Ighilahriz.
Pour l’heure, la présence, à cet emplacement, de cette
nécropole renseigne surtout quant au déplacement du centre urbain de la ville,
faisant de ce qui est aujourd’hui la place des Martyrs une périphérie urbaine.
Les archéologues pourront-ils aussi expliquer pourquoi ce lieu a été abandonné
à partir du Ve siècle, alors qu’il semble avoir été une place forte
berbéro-romaine ?
Icosium l’antique
Car le voyage dans l’histoire ne se termine pas au VIIe
siècle, tout comme le passé d’Alger et de l’Icosium maurétanienne qui s’étend
bien au-delà de l’époque médiévale. Ainsi, à près de 7 mètres de profondeur,
c’est dans l’antiquité que les vestiges de la place des Martyrs nous emmènent.
En ces temps-là, à la fin du Ier siècle avant Jésus-Christ, Alger portait le
nom d’Icosium, qui est l’adaptation romaine d’Ikosim, ancien comptoir
berbéro-punique des IIe et IIIe siècles avant notre ère, lorsque la cité
autonome de Maurétanie passait sous l’autorité du royaume de Juba II.
«L’urbanisme berbéro-romain est marqué, explique le CNRA,
par la découverte de deux rues dallées, les cardo», qui étaient, dans les
villes romaines, les rues principales selon l’axe Nord-Sud. «Vers la fin du IIe
siècle, un bâtiment de grande taille, quelque 440 m², est implanté entre les
deux rues. Il présente deux séries de six piliers séparant le vaisseau central
des deux bas côtés. L’ampleur de cet édifice permet de déduire qu’il s’agit
d’un bâtiment public.
Il présente un immense sol mosaïqué décoré de motifs
géométriques dont la mise en place est datée de la fin du IVe siècle», relate
le CNRA. Et c’est ce même sol de mosaïque qui, quelques siècles plus tard, sera
utilisé pour la nécropole et servira aussi de socle à l’édification de la
mosquée et des échoppes y attenant, où l’on peut d’ailleurs aujourd’hui
apercevoir, par endroits, ces petits carreaux colorés. «Ce sont 20 siècles
d’histoire qui seront retranscrits dans ce futur musée», se réjouit M.
Ighilahriz. Prendre le métro pour faire un voyage dans le temps…
Ghania Lassal
El Watan le 06.02.16
Autres illustrations Daboudj1948
...A suivre
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