Djamaa Es-sayida
Musée du métro
Des siècles d’histoire sous les pavés d’Alger
Quelque part entre le XVIe et le XIXe siècles. Basse Casbah,
mosquée Es Sayida.
L’imam fait ses ablutions dans une salle d’eau, carrelée de
noir et blanc, ménagée à cet effet. Il pose le pied sur la margelle au-dessus
de laquelle s’écoule un mince filet d’eau apportée là par un système
d’irrigation ingénieux. Il se dirige, à travers les couloirs étroits, vers la
salle de prière, située un peu plus haut, tandis que du minaret retentit
l’appel du muezzin.
Cette scène de vie «ordinaire», aussi imaginée que
plausible, est le fruit des reconstitutions qu’ont pu faire les archéologues en
charge des fouilles du site de la place des Martyrs, découvert alors que l’on
s’apprêtait à entamer la construction d’une station de métro. Et ce n’est pas
sans émotion qu’aujourd’hui, ils partagent le trésor historique qu’ils ont mis
27 mois à déterrer et à rêver. La période de fouilles étant achevée depuis
octobre dernier, les archéologues ont dû laisser place aux ouvriers pour la
poursuite des travaux du métro d’Alger.
«Depuis la découverte de ce gisement archéologique, nos
équipes ont dû coordonner des phases de recherche et d’approfondissement du
chantier avec le calendrier des travaux du génie civil de la station de métro.
Et cela a été l’un des plus grands défis pour que le développement et le
patrimoine historique ne se fassent pas l’un au détriment de l’autre», explique
ainsi Farid Ighilahriz, directeur du Centre national de recherches
archéologiques (CNRA).
Ce chantier titanesque, le premier de ce type en Algérie,
tant par son importance que par les méthodes utilisées, a été confié à des
équipes pluridisciplinaires du CNRA et de l’Institut français de recherches
archéologiques préventives (Inrap). Et si les couches les plus profondes et les
plus anciennes ont dû être recouvertes, ce n’est qu’en attendant la fin du
chantier de cette station et l’édification du futur musée qui offrira ces
merveilles aux regards et à l’imagination des visiteurs, et ce, en 2017.
«Un comité d’évaluation et de suivi scientifique et
technique, qui dépend du ministère de la Culture, décide des choix et des
sélections des vestiges à préserver in situ (sur place) tout comme il
accompagnera l’opération de muséalisation des vestiges et mobiliers
archéologiques», dont des centaines de caisses de céramiques, de pièces et de
métaux sont en cours d’étude, expose M. Ighilahriz.
Laissée en surface, sous la protection d’un large préau
transparent, la couche la plus «récente» : ce qui reste de la mosquée Es
Sayida. «Voilà l’entrée !» présente François Souq, chargé de recherche à
l’Inrap et coresponsable des fouilles de la place des Martyrs, en désignant une
large marche surplombant une petite allée pavée.
Succession de destructions et de reconstructions
Les murets, ocre et gris, semblent délimiter des petites
pièces. Par endroit, de petits cratères interrompent les tracés. «Ce sont les
trous creusés par les Français pour planter des arbres, lorsqu’ils ont
recouvert tout cet espace pour établir la place d’Armes», expliquent les
archéologues. Un peu plus haut, ce qui devait être la base du minaret. M. Souq
se penche et désigne la base d’une fondation. «Il y a des marques de
destruction et de reconstruction. Cette mosquée, par exemple, semble avoir été
édifiée au XVIe siècle. Toutefois, on soupçonne que l’un des séismes qui ont
touché Alger l’a détruite, vers le XVIIIe siècle, et qu’elle a été
réhabilitée», relate-t-il.
De même, son implantation s’est faite sur les fondements
d’autres bâtisses plus lointaines encore. «Les bâtiments construits à partir du
XVIe siècle prennent appui sur les fondations des constructions médiévales des
Beni Mezghenna, qui ont rebâti, dès le Xe siècle, une partie de la ville qui
était en ruine», explique le CNRA. «Nous attendons donc d’étudier plus en
profondeur cet espace pour savoir dans le détail ce qui s’y est déroulé tout au
long de ces années», ajoute M. Ighilahriz.
Un peu plus loin, les dépendances de la mosquée, dont Beit
El Mal (la trésorerie), sont délimitées. La continuité de la mosquée se trouve,
selon toute vraisemblance, du côté de la rue. Et M. Ighilahriz ne cache pas sa
frustration : «Nous ne sommes pas allés plus loin car nous avons dû nous
contenter du périmètre que l’on nous a délimité.» «Les générations futures
procéderont, je l’espère, à des fouilles plus approfondies», prédit-il.
Ghania Lassal
El Watan le 06.02.16
...A suivre
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