Damerdji Mohamed. 82 ans, ancien militant de la cause
nationale, activiste social et culturel
La Casbah, les bombes et les
seringues
«Sans justice, il n’y a que des
partis, des oppresseurs et des victimes.» Napoléon
En ces
moments troublés emplis de doutes et d’incertitudes, lorsqu’on se retrourne
pour contempler l’histoire, surtout contemporaine de notre pays, il se trouve
des obstacles pour en boucher la perspective. Heureusement qu’il y a encore des
«vétérans», acteurs vivants pour rétablir les faits souvent dénaturés par
l’histoire sélective officielle. Car si l’histoire n’est pas falsifiée, elle
est omise. Dans les deux cas, le forfait est impardonnable.
Parmi ces
vétérans, Damerdji Mohamed, authentique militant, qui nous parle avec sincérité
de son parcours tourmenté, de sa vie conscrée aux luttes sans calculs. Sans en
attendre quoi que ce soit en retour, si ce n’est le bonheur d’avoir atteint
l’objectif de mettre à genoux un joug oppresseur si pesant. Damerdji Mohamed,
une figure du vieil Alger, enfant de La Casbah, issu d’une famille bien connue
qui a essaimé à travers l’Algérie. Qu’en est-il au juste de sa petite famille ?
Enfant de la
Casbah
Son visage
trahit une profonde modestie et ses lunette épaisses ne peuvent masquer un
regard étonné. Il ne revient pas à tout le monde de brandir son courage dans un
contexte aussi contraignant fait de peurs et de suspicions. Il ne revient pas à
tout le monde de vivre avec autant de conviction et de sincérité et qui n’a
jamais songé à s’élever au-dessus des autres. Il sait que le temps qui passe
est joyeux quand on choisit de rester soi-même. Autant dire que Mohamed
vieillit sans changer.
«Ma fille
Radia, professeur à l’EPAU, qui s’intéresse à l’histoire, a fait des recherches
qui l’ont éclairée sur la filiation familiale. Le nom Damerdji, (en turc
Demerci) signifie forgeron ou haddad. En plus des Feuillets d’Alger écrits par
M. Klein en 1910, qui évoquent Damerdji, Oukil, qui avait sa maison mitoyenne à
celle du Dey Hussein, et les origines de ce patronyme, d’autres sources
indiquent que l’administration coloniale française avait tranché un litige d’un
architecte italien au détriment de Damerdji Mohamed Ben Ahmed, entrepreneur en
batiment.
Celui-ci
manifesta son refus de vivre dans un pays où règne l’injustice, en décidant de
quitter l’Algérie vers 1890, pour se rendre en Turquie avec sa femme et ses six
enfants. Il s’établit à Smyrne (Izmir) où il exerça son métier d’architecte
auprès de la municipalité de cette ville. En 1896 est né M’hamed Ouali. Peu
après, son père Mohamed Ben Ahmed décède.
En 1899, la
famille Damerdji, agrandie de son dernier- né, M’hamed Ouali, âgé alors de 3
ans, quitte la Turquie accompagné du frère du défunt, venu spécialement
d’Algérie pour ramener au pays la famille de son frère. Cette dernière
s’établit à La Casbah d’Alger, puis à Saint- Eugène (actuel Bologhine).»
M’hamed Ouali fit ses études primaires à l’école Sarouy,
puis à la médersa d’Alger. muni de ses
diplômes, il exerça comme instituteur, puis comme Adel.
Très pieux,
il était membre de l’Association des Oulémas et admirateur de l’Emir Khaled.
«Mon grand-père s’appelait Kaddour Ben Mohamed Ben Ahmed, qui était âgé de 34
ans en 1890 et vivait à Alger. Il serait le fils de l’Oukil. Mon père Boualem,
détenteur du certificat d’études à M’cid Fatah, était pointeur au port d’Alger.
C’était un
père de famille attentionné, aimant, qui n’a jamais levé la main sur quiconque,
jamais une parole déplacée ou un mot plus haut que l’autre. Moi, j’ai quitté
l’école de la Rampe Valée à 13 ans.
J’étais en
fin d’études, il fallait aider mon père, souvent malade, et soutenir ma famille
dont les revenus étaient fort modestes. Mon père, qui était client à la
pharmacie Benallegue, bien connue au 16 rue Marengo, a proposé au pharmacien de
m’embaucher en tant que coursier.
Ce qu’il
fit. On commencait à 7h30 par le nettoyage et on terminait le travail tard le
soir. Mon métier consistait à faire de longues courses chez les grossistes, en
utilisant le tramway vert des Trois Horloges jusqu’au
chemin
Yusuf.
Parfois, je
faisais cette distance à pied. Il m’arrivait aussi de transporter sur une charrette des quantités de lait guigoz, très demandé à l’époque et commercialisé
par les officines.
Aussi, tout
en étant coursier, j’apprenais à être préparateur de médicaments. A 18 ans, je
faisais déjà des préparations magistrales et galéniques, c’était une grande
responsabilité. Il fallait connaître tous les produits chimiques, les teintures
et les élixirs. Je faisais des injections souvent gratuitement au domicile des
malades. La lutte de Libération à laquelle j’ai adhéré spontanément a
bouleversé le cours de ma vie.
En 1955,
j’avais 20 ans, j’ai été contacté par Achir Mohamed qui était mon voisin pour
m’intégrer au Nidham. Vers la fin de 1956, il me proposa une autre mission :
celle de rencontrer un militant malade et réfugié à la grande Mosquée d’Alger.
C’était Ahmed Chaïb, dit Loghrab, — qui s’appelle en réalité Rouibi. Atteint de tuberculose, il avait un traitement à suivre, dont des injections de Streptomicyne. C’est moi qui lui faisais les injections dans la salle de prière. C’est ce valeureux moudjahid qui m’a proposé d’activer avec lui dans la collecte et l’approvisionnement en médicaments pour les wilayas III et IV.
C’était Ahmed Chaïb, dit Loghrab, — qui s’appelle en réalité Rouibi. Atteint de tuberculose, il avait un traitement à suivre, dont des injections de Streptomicyne. C’est moi qui lui faisais les injections dans la salle de prière. C’est ce valeureux moudjahid qui m’a proposé d’activer avec lui dans la collecte et l’approvisionnement en médicaments pour les wilayas III et IV.
Comme la
demande en médicaments allait crescendo, on a organisé un réseau avec les
frères Bentchakal Mohamed, Yahiaoui Abdelmadjid. J’avais aussi des contacts
avec Mustapha Bouchouchi, Chergui Rabah, coiffeur, Baghdad le chinois,
gargotier. On a dû recourir à des militants hors Casbah, comme Belazouz
Mokhtar, infirmier à l’hôpital Mustapha,
Saïd Abdiche, Chouiter Mohamed. Les médicaments les plus réclamés étaient les antibiotiques injectables et en comprimés, les hémostatiques buccales et antiseptiques, les désinfectants, les pansements, les compresses et les seringues en verre de l’époque.»
Saïd Abdiche, Chouiter Mohamed. Les médicaments les plus réclamés étaient les antibiotiques injectables et en comprimés, les hémostatiques buccales et antiseptiques, les désinfectants, les pansements, les compresses et les seringues en verre de l’époque.»
Quatre
arrestations
«Ma première
arrestation a eu lieu après la grève des huit jours. On m’a gardé dans les bas
fonds de l’Amirauté pendant quelques jours. A ma sortie, j’ai repris mon
activité en faisant plus attention. Fin 1956, le frère Saci Maouche, dit Moh,
qui faisait partie de notre groupe, me sollicita pour lui procurer de la
glycérine afin de fabriquer des bombes. C’était très difficile car soumis à un
ordonnancier (registre). Il fallait déclarer le produit alors que notre action
était essentiellement clandestine. Je lui en ai procuré un kg en falsifiant le registre.
Saci avait remis cette «marchandise» à Habib Réda, responsable du FLN à La
Casbah. Après la grève, Saci Maouche était recherché.
Il est sorti
de La Casbah avec sa mère vêtu d’un haïk. Il est venu chez moi. Comme on était
une famille nombreuse, 10 personnes dans un réduit de 2 pièces minuscules,
c’est Achir mon voisin qui l’a hébergé en attendant son transfert à la cache de
Djamaâ El Kébir. Pendant toute cette période, on n’a pas cessé de livrer les
médicaments réclamés par le Nidham. Moi, j’ai fait l’objet de 4 arrestations
durant l’année 1957.
Le 2 août
1957, dans la matinée, je reçois un émissaire à la pharmacie qui voulait parler
à Si Mohamed (moi-même) de la part de Boualem Tapioka, de son vrai nom Kadache,
qui était au maquis de la wilaya IV comme commissaire politique. Il me remit
une lettre dans laquelle il me demandait de lui procurer un produit chimique
pour empoisonner les chiens qui protégeaient un campement militaire. Je lui ai
envoyé une bonne quantité d’arsenic. Le hasard a voulu qu’on se rencontre à la
terrasse du Palais Klein chez les Zouaves
lors de mon
arrestation. Il venait d’être incarcéré à son tour. C’était un lieu de torture,
de sévices et d’humiliations. Je peux dire qu’on a subi les pires atrocités,
sans compter la torture morale qui peut rendre fou.
Deux mois
après le Palais Klein, dont on est sortis meurtris et exsangues, je me suis
retrouvé de nouveau dans la cour de la prison de Barberousse avec Tapioka.
On a discuté
de la mission (réussie) qu’il m’avait confiée. Il m’a dit un mot que je garde
toujours, c’est Tapioka qui parle, : «Le commandant Si Lakhdar de la Wilaya IV
m’a dit : si un jour tu rencontres Si Mohamed, tu le remercieras pour l’action
qu’il a menée et aussi pour son engagement’’. Ce jour-là où j’ai livré le fameux
produit, je ne l’oublierai jamais, c’était le 20 août et cela coïncidait avec
mon mariage !»
Désenchanté,
désabusé
Mohamed
regrette que ce volet de la lutte, à savoir les services de santé et l’apport
des personnels y afférents, n’ait pas été assez mis en évidence, comme aussi la
participation d’hommes engagés qui n’étaient pas d’origine algérienne. Ainsi en
est-il du pharmacien juif Cherqui, qui s’est impliqué dans la lutte à nos côtés
en mettant à contribution sa pharmacie de la rue Sadi Carnot, près de l’hôpital
Mustapha.
Damerdji a
fait des séjours qui l’ont marqué physiquement lors de ses arrestations au
Palais Klein, à l’Amirauté, à la Corniche d’Alger, à la Villa de Birtraria, à
l’école des Tagarins qui se trouve près de Fort l’Empereur, au centre de tri de
Ben Aknoun et à Beni Messous jusqu’au début 1959. «J’ai été condamné à 6 mois
de prison que j’ai purgés à Barberousse.
A ma sortie,
j’ai été accueilli par les gendarmes dans leur Jeep qui m’ont kidnappé. Je
croyais à ma mort imminente, car les kidnappés avaient presque tous disparu.
J’étais heureux à Beni Messous où ils m’ont emmené et où j’ai écopé de 6 mois.
Libéré, un pharmacien, Aziz Hamoutene, m’a proposé de travailler avec lui. J’ai
repris le contact avec d’autres militants jusqu’à l’indépendance.» La Casbah
d’aujourd’hui n’enchante guère notre vieil ami désabusé.
«C’était
une ville où il y avait la joie de vivre, la convivialité, la solidarité.
C’est déplorable aujourd’hui de voir cette cité chargée d’histoire et
d’émotions décrépir, laissée aux quatre vents. A l’époque, malgré les
contraintes, on était très pauvres mais heureux. Il y avait une envie de
côtoyer toutes ces communautés bigarrées dans une symbiose extraordinaire. A
l’époque, on s’interpellait en faisant allusion aux quartiers, mais pas à
l’origine des gens. Il est dommage que La Casbah au poids symbolique
sentimental qui n’a pas de prix soit galvaudée. Et El Hadj El Anka et Fadila
Dziria, et Momo, et Amar Ezzahi et Bencheneb et Bensemaïa, et…».
Mohamed
active au sein de l’Association des Amis de la Rampe Louni, présidée par Aït
Aoudia Lounès, qui a à son actif de belles choses, comme l’organisation d’activités
culturelles de niveau au Palais El Minzah
qui servait d’antre et de fief culturel mis à leur disposition par le mécène Marouf, que Dieu ait son âme. Depuis sa disparition, le Palais, joyau d’architecture arabo-mauresque, a changé de vocation pour devenir un bloc administratif froid et impersonnel racheté par l’ONDA.
qui servait d’antre et de fief culturel mis à leur disposition par le mécène Marouf, que Dieu ait son âme. Depuis sa disparition, le Palais, joyau d’architecture arabo-mauresque, a changé de vocation pour devenir un bloc administratif froid et impersonnel racheté par l’ONDA.
Même la
vocation de la médersa qui lui fait face est perdue depuis longtemps. Ses
portes sont hermétiquement fermées. Elle qui devait s’ouvrir au quartier en
devenant un centre de rayonnement culturel de La Casbah et d’Alger toute
entière a été transformée en centre de cours par correspondance ? (sic) Mais
que voulez-vous, les «décideurs» en ont décidé ainsi…
Parcours
Mohamed
Damerdji, né en 1935 à La Casbah, est issu d’une vieille famille algéroise. A
13 ans, il entre dans la vie active pour aider sa famille. Son père, Boualem,
pointeur au port d’Alger, malade, parvient difficilement à subvenir aux besoins
de sa famille.
Mohamed est
embauché dans la fameuse pharmacie Benallegue, au cœur de La Casbah où il est
d’abord coursier, puis préparateur en pharmacie.
C’est à ce
titre qu’il est sollicité pour fournir les médicaments à la résistance. Arrêté
à quatre reprises, Mohamed a connu les affres des prisons dont il garde les
séquelles. Marié, il est père de 4 enfants.
Hamid Tahri
El watan le 21.09.17
Illustration Daboudj1948
Merci Monsieur Tahri,et longue vie à notre Frère,si je peux me permettre,Damerdji.
Au détour d'une rue menant vers le marché Nelson,je suis tombé nez à nez,permettez l'expression,avec notre Frère Damerdji, le pas alerte, le visage avenant,nous avons eu un brin causette,ne voulant pas abuser de son temps,je lui en fait part, sa réponse fut simple "c'est un plaisir pour moi",après l'avoir informer que j'ai pris connaissance de l'article dont il a été objet sous la plume de Monsieur Tahri,et que je comptais le reprendre (l'article)en l'illustrant de photos d'endroits cité dans cet interview,sur mon blog, il m'a fait part de son ravisement.
Nous avons fait un peu plus ample connaissance,en l'informons entre-autres,que l'administrateur de la Medersa Taalibi, à l'époque c'était mon oncle,(Paix à son âme),Fouila Ahmed,en continuant notre conversation il s'est avéré que hadjame qui l'avait circoncis était le mari de ma tante maternelle Rezki Badaoui (Paix à son âme).
Puis sur un autre registre,la guerre de libération beaucoup d'amertume,et le sort réserver à notre Casbah sujet incontournable !
A bientôt Monsieur Damerdji !
Daboudj1948,dimanche 24 septembre 2017
Illustration Daboudj1948
Merci Monsieur Tahri,et longue vie à notre Frère,si je peux me permettre,Damerdji.
Au détour d'une rue menant vers le marché Nelson,je suis tombé nez à nez,permettez l'expression,avec notre Frère Damerdji, le pas alerte, le visage avenant,nous avons eu un brin causette,ne voulant pas abuser de son temps,je lui en fait part, sa réponse fut simple "c'est un plaisir pour moi",après l'avoir informer que j'ai pris connaissance de l'article dont il a été objet sous la plume de Monsieur Tahri,et que je comptais le reprendre (l'article)en l'illustrant de photos d'endroits cité dans cet interview,sur mon blog, il m'a fait part de son ravisement.
Nous avons fait un peu plus ample connaissance,en l'informons entre-autres,que l'administrateur de la Medersa Taalibi, à l'époque c'était mon oncle,(Paix à son âme),Fouila Ahmed,en continuant notre conversation il s'est avéré que hadjame qui l'avait circoncis était le mari de ma tante maternelle Rezki Badaoui (Paix à son âme).
Puis sur un autre registre,la guerre de libération beaucoup d'amertume,et le sort réserver à notre Casbah sujet incontournable !
A bientôt Monsieur Damerdji !
Daboudj1948,dimanche 24 septembre 2017
...A suivre
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