mardi 13 avril 2010

Ourida Meddad....Azeffoun les environs....La Casbah !


Florence Beaugé



 (Quatrième partie)


-Qu’est-ce qui vous a le plus éprouvée dans le déroulement de vos enquêtes ? Qu’est-ce qui a été le plus difficile ?

Ce qui m’a le plus éprouvée, c’est de découvrir, en Algérie, la souffrance des rescapés, et, en France, de voir à quel point cette souffrance est ignorée et niée, et avec quelle violence on m’a accusée de « salir l’honneur de l’armée française », de me faire « le porte-parole du FLN », d’être « manipulée par le pouvoir algérien », de vouloir « remuer la boue pour rien ».
L’expression « pour rien » me scandalisait parce que derrière cette expression il y avait des gens qui, de l’autre côté de la Méditerranée, vivent avec leur souffrance, leurs non-dits, le sujet reste explosif en France, bien qu’infiniment moins qu’il y a cinq ans.

-Et comment votre famille proche a-t-elle réagi ?

J’ai reçu son soutien au début, ensuite du bout des lèvres, et à la fin, je me suis heurtée à une hostilité sourde, je l’avoue dans le livre.
Les miens ne m’en voudront pas trop de le dire, puisque mon livre porte sur les dessous d’une enquête, mes proches ont eu peur pour moi, pas pour eux.
Surtout quand il s’est agi de faire ressurgir le passé de Jean-Marie Le Pen, car alors je m’en prenais à l’extrême droite, et ensuite, quand il s’est agi de faire ressurgir le passé du général Schmitt, ancien chef d’état major des armées françaises.
Les difficultés que j’ai rencontrées se sont donc doublées du fait que ma famille proche ne me soutenait pas, par souci de me protéger.

-Cela prenait trop de place dans votre vie de famille...

Cela prenait beaucoup de place certainement dans ma tête ! Ces cinq dernières années, j’ai vécu avec une toile de fond qui était la guerre d’Algérie et les atrocités commises par une partie de l’armée française.
Je me réveillais avec ce dossier. Je m’endormais avec lui ! Toute l’armée française n’a pas torturé, mais la quasi-totalité des Algériens qui ont été arrêtés où interpellés ont été torturés.
En France, on a du mal à comprendre cela. De même qu’on a du mal à admettre que la torture n’a pas commencé en Algérie en 1954, mais bien avant.
Deux enquêtes m’ont paru encore plus dures que les autres, l’une sur les viols, et l’histoire de *Mohamed GARNE, ce Français par le crime comme il se définit lui-même, né d’un viol collectif de sa mère quand elle avait quatorze ans, dans l’Ouarsenis. 


Je n’ai jamais rencontré, contrairement à ce que dit Jean-Marie Le Pen, d’Algériens qui se vantent d’avoir été torturés.
C’est vraiment méconnaître les traumatismes physiques ou psychologiques des rescapés. Les faire parler, c’était à la fois les blesser et les rendre presque coupables.
Quand vous me demandez si j’ai été éprouvée, il faut toutefois relativiser les choses, je dirai que leur souffrance est devenue la mienne.

-Comment expliquez-vous ce silence sur les viols en Algérie, sujet tabou aussi bien en Algérie qu’en France ?

Le tabou n’est pas de même nature en Algérie et en France, en Algérie, les femmes victimes de viol sont considérées finalement comme coupables, alors qu’en France elles sont reconnues comme victimes. 

Si en France, ceux qui se sont laissés entraîner pendant la guerre d’Algérie dans des viols ne veulent pas en parler, c’est parce que la honte est la plus forte, parce qu’en France le viol est considéré comme l’abomination la plus grande que puisse subir une femme. 
La souffrance d’une femme, qu’elle soit musulmane ou non, est rigoureusement la même, simplement le regard que la société porte sur elle n’est pas tout à fait le même. 

*Tout commence en Algérie, le 19 avril 1960, dans le camp de détention de Theniet al-Had, lieu sinistre où l’armée française a détenu des millions d’algériens.
Capturée dans la montagne, la mère de Mohamed, Kheira, est ramenée au camp où, plusieurs jours durant, de nombreux soldats français, « des tas » dira-t-elle, la violeront et la tortureront.
De ce viol naîtra Mohamed, forcée à l’avortement par les soldats, qui iront jusqu’à lui infliger des coups de pieds dans l’abdomen, elle parvient à mettre au monde l’enfant qui lui sera retiré.

Placé dans différents orphelinats, Mohamed ne retrouvera sa mère que vingt-huit ans plus tard. Après d’émouvantes retrouvailles, il ignore encore ce viol et décide d’entamer une recherche de paternité.

Quant il découvre le crime originel, il aura, quelques années plus tard, ces mots pour sa mère, « maman, j’aimerais te dire merci de m’avoir porté durant ces neufs longs mois, alors que tu savais que j’étais le fruit de la haine et non pas l’enfant désiré… ».

Il y a quarante-six ans, Mohamed Garne avait obtenu une première victoire en cour d’appel avec une reconnaissance, cinq ans auparavant, de son statut de victime de guerre.
Ayant saisi le conseil d’état pour une requête de crime de guerre, il vient tout juste d’être débouté. Mais l’homme n’en a cure. Déterminé à poursuivre son combat, il va saisir la cour européenne des droits de l’homme, bien décidé à aller jusqu’au bout. Au nom de la justice… 

 (Extraits de Farid Bahri 11/07/2006 sur SaphirNews)





....A suivre






Annotations et illustrations Daboudj1948

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